Fête de tous les Saints mais aussi Jour de l’An celte, le 1er novembre permet de penser à tous ceux à qui l’on tient. Souvent les objets qui les ont accompagnés évoquent en nous des souvenirs chers. Les conserver près de nous est précieux mais ne doit pas être étouffant. Il est important de leur donner une place « vivante », voire de les détourner, de les modifier, de les actualiser.
Lorsque les lieux, les objets sont raccrochés à une personne précise, le sentiment peut être ambigu. Notre fauteuil Voltaire beige a été trouvé sur le Bon Coin sous l’appellation « fauteuil confortable ». Une fois sur place, le vendeur a raconté qu’il appartenait au grand-père qui s’y installait pour téléphoner. Et a conclu : « vous ne voulez pas aussi prendre le chien ? » Moment de flottement… Les fauteuils roses et leur repose-pied ont été vendus à regret par une personne déménageant dans un lieu plus petit. Le fauteuil Voltaire prune a été offert par des parents, rénové par une tapissière Compagnon du Devoir. Chacun est porteur d’une histoire et d’un ressenti différent.
_
S’approprier une maison de famille dont les derniers occupants sont récemment décédés est très compliqué, surtout quand ils nous sont chers. Etre l’architecte qui les accompagne dans cette démarche aussi. Osciller entre respect des anciens, nostalgie et nouveau projet de vie du lieu et de ses occupants s’avère subtil. L’idéal est de vider les lieux (sous prétexte de travaux de rafraîchissement), d’installer ensuite les meubles et objets personnels puis d’intégrer quelques souvenirs pas trop pesants. Cela demande beaucoup d’énergie et de recul.
La situation est plus facile lorsque la référence aux anciens occupants est plus ancienne, plus anonyme. Quelle curieuse sensation tout de même de retrouver une carte postale de son appartement avec une dame inconnue à la fenêtre que l’on vient de refermer. Ou de la devanture de la pharmacie, de la gare dont on vient de sortir.
_
Pourtant, utiliser des objets ayant déjà vécu présente bien des avantages.
Les rénover permet de limiter le cycle de produire-consommer-jeter. Produire nécessite de puiser dans des ressources pas toujours renouvelables. Consommer représente souvent un rôle passif finalement source de peu de satisfaction et de plaisir. Jeter encombre, pollue, gaspille.
Rénover, réutiliser, c’est garder le souvenir, c’est se référer à une culture, c’est penser qu’il serait illusoire de se croire capable de tout réinventer, de repartir de zéro. C’est s’appuyer sur les efforts, études, expériences des générations précédentes.
Rénover, c’est se servir du passé comme marchepied pour aller vers l’avenir, innover. L’exemple de Picasso est frappant ; il a fait le chemin de classique à innovant, s’est appuyé sur sa culture pour la détourner.
_
« Les peuples premiers disent que nous flottons à la surface de la terre comme des bateaux à la dérive. Ce manque d’ancrage induit une insécurité intérieure, une instabilité des individus comme des sociétés. » Perrine & Charles HERVE-GRUYER, VIVRE AVEC LA TERRE, Manuel des jardiniers-maraîchers, mai 2019, Editions Actes Sud / Ferme du Bec Hellouin.
Habiter un lieu dont on ne connait pas l’histoire, dont on a perdu les racines reste problématique. A minima jusqu’à ce qu’on ait créé une nouvelle histoire. On voit ainsi des habitants de cités françaises pleurer lors de leur destruction, voyant ainsi leurs souvenirs partir en gravats.
_
Comme un arbre dans une forêt, l’humain fait partie d’un tout dont il est issu et qu’il nourrira à son tour. Mieux qu’un arbre, il peut prendre ses valises et les déposer ailleurs, sans repartir à zéro. Il peut se greffer sur l’histoire d’un autre lieu, prendre le relai des précédents occupants.
Les premières traces d’un Léau, l’écuyer Samuel Léau, sieur de la Roche, remontent au tout début du XVIIème siècle. Nous venons d’emménager dans son manoir en 2020… Lorsque nous touchons les murs de schiste rouge, lorsque nous regardons ce qui reste de la charpente ou de la tour, nous contemplons plus de 4 siècles d’histoire. De quoi avoir le tournis.
Nous sommes de passage dans cette demeure, nous allons simplement ajouter une partie du chapitre XXIème siècle, dans le respect du passé, du savoir-faire de ceux qui l’ont construite mais sans en être esclaves, sans renier le mode de vie actuel et ses progrès techniques.
Comme l’ont dit des amis libraires en nous voyant replanter l’allée d’accès au Manoir,
» S’enraciner, voilà un joli verbe qui définit tout ce que vous faites pour être en osmose avec ce lieu magique ! »